Ne te réjouis pas
C'est vrai, mes yeux sont rouges,
Mais c'est que les embruns ont frappé mes paupières...
Ma mère cachait ses yeux gonflés
Mes petits frères avalaient lentement l'eau maigre de leur soupe.
Le vieux soc de mon père s'émoussait
Sur la multitude des pierres
Le dieu de ces landes désolées
T'a depuis longtemps oubliée,
Ma terre.
Les murmures de tes bruyères
Vibraient dans les harpes de nos pères
Insufflaient l'espoir sous nos peaux
Elargissaient les coeurs
Jusqu'à nos manches retroussées
Comme tu nous trompais! Oui, tu mentais
L'alcool servait à te faire taire
Ma terre.
La sueur des hommes au travail
N'a fait germer que le trèfle.
Nos os claquaient dans le vent froid.
Tu n'as réchauffé que nos morts
Tu n'as engraissé que les vers
Ma terre
Maintenant je te sais tapie
Sous les brumes de l'horizon
Entre le ciel et la mer
Je n'ignore pas que tu me guettes
Ma terre
Mais les vents du Nouveau Monde
Gonflent ma chemise
Comme une voile qui me pousse
Vers les grandes plaines.
Cesse de me narguer : si mes yeux rougissent
C'est le soleil qui se lève
A l'ouest
Sur de nouvelles terres.