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11 février 2013 1 11 /02 /février /2013 09:01

La poussière des déserts a pris la place du vivant.

Un jour, la pluie s'est renversée, elle a aspiré l'eau de la source qui toquait au fond de la jarre.

Elle a racorni la frêle poussede manioc.

Elle a bu leur lait aux mamelles des vaches, sucé leur sang, fait saillir leurs os jusqu'à ce que leur langue s'effrite.

Elle a asséché toutes leurs peaux, mordu la chair des enfants remâchée séchée comme celle des vieillards et seuls leurs grands yeux noirs disaient leur innocence.

Elle a tourné autour du grand baobab et son rire de hyène a creusé plus profond le trou des serpents sourds.

Le grand arbre s'est fissuré de mille crevasses saignantes, il a bruni de mille feux muets, il s'est envolé en mille mouchesde poussière qui ont rejoint le courant dela lente aspiration de pluie sèche.

Les nuées ont assombri le ciel pour des siècles de mort .

Mais les siècles ne durèrent qu'un instant infime puisque personne n'était là pour les compter.

D'où venaient-ils, les voyageurs? Quelle force les avaient poussés à traverser ces terres où la mémoire même s'était perdue?

Ils avaient le dos courbé, la tunique rêche, les yeux rouges d'avoir autant creusé la route. Nul ne peut savoir d'où ils venaient. Mais celle qui les guidait avait la tête altière, le poing frémissant qui protégeait les dernières graines du monde. C'est ce qu'on dit. Elle savait encore pleurer des larmes de sel et d'eau, elle avait encore des lèvres pour sourire et des cheveux pour tomber en cascades.

Lorsqu'ils se sont arrêtés, les voyageurs, ils ont entouré leurs compagnons de leurs bras grêles et chacun d'entre eux, tour à tour, a murmuré son nom a l'oreille de son voisin, pendant que les mouches de cendres les encerclaient, pour qu'il s'en souvienne jusqu'au bout.

La nuée noire a crié, hurlé, tonné, brûlé, longtemps, des siècles peut-être. Mais lorsqu'elle a fait silence, ce sont ces noms qui ont flotté dans le ciel aussi nu qu'une flaque après l'ondée. C'est ce qu'on dit.

Elle s'appelait Ridgeal. Elle a ouvert son poing frémissant et les graines ont suivi les quatre vents jusqu'aux creux où se blottir. Une averse douce a caressé la terre qui s'est remise à parler le langage des hommes. C'est ce qu'on dit. On dit aussi qu'il ne faut pas l'oublier.

Les photos en noir et blanc sont de Sebastiao Salgado

 

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